Alors que La Turbine s’intéressait il y a peu à la culture, comme « le réservoir de représentations, de symboles, d’affects, d’implicites et de croyances », ce nouvel article se préoccupe de la culture sous un autre angle. Celle qui crée de la valeur et qui, en 2014, contribuait sept fois plus au PIB que l'industrie automobile : la culture comme secteur d’activité ou ensemble de services. Parmi ceux-ci, le spectacle vivant…
« Je jette quotidiennement des bouteilles d'eau minérale quasiment pleines venant des loges dans lesquelles vous buvez deux gorgées avant de monter sur scène, puis que vous laissez sur place. ».
Telle était l’observation qu’adressait, en avril 2019, une collègue et amie, responsable d’un théâtre privé parisien, aux artistes de la programmation. Tel était également le point de départ de ce qui s’annonçait être, pour moi, jeune active passionnée du milieu de la culture et citoyenne engagée par ailleurs, un travail de recherche de longue haleine autour de la transition écoresponsable au théâtre, de ses enjeux et de ses spécificités. Ce travail a donné lieu à une thèse professionnelle, soutenue devant jury en janvier dernier, dont voici les principales considérations.
Alors que 99 % des professionnels du spectacle vivant se considèrent largement acquis à la cause écologique (voir infographie), le milieu pâtit, à tous les niveaux, de son inertie face aux enjeux écologiques.
Côté artistique et technique, les paradoxes s’enchainent. « Par nature, notre activité est basée sur le déplacement des artistes [...] qui a un impact carbone non négligeable – bien que totalement négligé jusqu’à maintenant pour l’ensemble des professionnels du secteur. » me confiait Alain Anglaret, administrateur du Grand T à Nantes. De fait, le spectacle repose sur le déplacement. Celui des artistes évidemment, celui des spectateurs également, mais aussi celui d’éléments de décor parfois légers, souvent encombrants.
Si les initiatives sont encore timides, certaines compagnies prennent la mesure de leur impact et restreignent leurs déplacements. Soit géographiquement comme c’est le choix de la compagnie La Poursuite du Bleu, qui refuse de faire tourner sa dernière création Melone Blu au-delà de la région Île-de-France. Soit techniquement, comme la compagnie Jérôme Bel qui a publiquement pris le parti de ne se déplacer qu’en train, ou la compagnie Organic Orchestra dont le spectacle Oniri 2070 est transportable à vélo, permettant ainsi de générer l’énergie nécessaire au spectacle, soit 1kWh, l’équivalent de ce que consomme un seul projecteur pour une représentation.
Si ces initiatives sont le symptôme d’une prise de conscience et d’une volonté de transition de la part des artistes, elles ne sont vraisemblablement pas à la hauteur des efforts qui restent à fournir. Car s’ajoute à l’empreinte carbone des déplacements la surconsommation de matières premières vouées à la construction de décors et costumes, qui sont par la suite majoritairement stockés et irrémédiablement oubliés à tout jamais. Ils sont d’ailleurs nécessairement recouverts de substances ignifuges, visant à éviter tout risque de combustion sur scène. Substances des plus chimiques qui mettent à mal le recyclage des éléments. Sans compter les nombreux projecteurs nécessaires à l’éclairage des boîtes noires que sont les théâtres, qui impliquent des consommations électriques importantes et dont le potentiel recyclable est quasi-nul.
C’est en réponse à ces nécessités du secteur qu’émergent des initiatives plus ou moins formalisées de mutualisation et de standardisation des ressources. Telle est la vision des ressourceries qui œuvrent à la récupération et redistribution des matières premières de décors de scène et d’éléments techniques, comme le font La Réserve des arts, Récupscène, Artstock ou encore La Ressourcerie du spectacle.
Au-delà du seul volet artistique, les dispositifs permettant l’accueil du public et la bonne organisation de l’activité ont également leur lot d’incohérences. Les services de billetterie sont chargés d’émettre des centaines de billets dont la durée de vie est plus que restreinte quand les services de communication veillent au transfert de l’information par le biais de dizaines d’affiches, d’écrans rétroéclairés ou d’infolettres, dont on sait désormais qu’elles parcourent en moyenne l’équivalent de 15000km avant d’atterrir dans les boîtes de réception. Et au-delà des flyers plantables biodégradables, rares sont, pourtant, les alternatives aux tracts et affiches imprimés en grande quantité avant de finir jetés, perdus ou, pire, abandonnés sur la voie publique.
Et pour cause, le milieu de la culture est loin d’avoir pris la mesure de ses actions face aux considérations écologiques de notre ère. Car si le spectacle vivant n'est pas l’activité la plus polluante qui soit, le secteur endosse une responsabilité sociétale vis-à-vis des générations futures qui devrait être un moteur de changement de vision et de consommation.
En apprendre plus sur :
- la valeur ajoutée du secteur culturel : lire l'article de Romain Renier publié sur le site de La Tribune (2014), "La culture contribue sept fois plus au PIB que l'industrie automobile"
- les comportements déraisonnés au théâtre : lire l'article d'Amélie Mammou publié sur Linkedin (2019) "Quelle responsabilité écologique pour les lieux de la culture ?"
- les impacts environnementaux du numérique avec l’ADEME : lire la synthèse "Analyse comparée des impacts environnementaux de la communication par voie électronique" - l’écoresponsabilité dans les lieux permanents de spectacle vivant : lire la thèse professionnelle du même titre d'Amélie Mammou
Découvrir des exemples d'engagements écologiques d'artistes :
- la compagnie La Poursuite du bleu et son spectacle Melone Blu
- la compagnie Organic Orchestra et son spectacle autonome en énergie et transportable à vélo, Oniri 2070
© crédit photo : Le Grand T, DR