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Photo du rédacteurAmélie Mammou

L’artiste : catalyseur de la transition ?

Vers une culture de l’«après» crise sanitaire


Les journaux de confinement, qu’ils soient signés par l’autrice Leïla Slimani, par l’artiste-directeur du Théâtre national de La Colline Wajdi Mouawad, ou par l’humoriste Pierre-Emmanuel Barré, ont dernièrement envahi la toile. La demande de contenus culturels en ligne ne fait que croître, tant comme passe-temps que comme l’expression d’un besoin cathartique plus profond. Et si l’art, et à travers lui, la personne de l’artiste, avait un rôle à jouer dans la construction de “l’après” ? Et si l’artiste était le catalyseur de la transition ? 



L’art pour l’autre


Après le mouvement des Gilets jaunes ou les mouvements sociaux en opposition à la réforme des retraites, la société ploie cette fois-ci sous la crise sanitaire , et parmi les victimes collatérales, la filière artistique. Forte de son expérience de crise, la communauté des artistes s’est rapidement organisée en un réseau solidaire, notamment sur les réseaux sociaux. De fait, le secteur culturel est plus que mis à mal en ces temps d’incertitude et de distanciation sociale. Difficile d’avoir une vision claire de l’avenir, à l’heure où les rassemblements de plus de cent personnes ont été interdits depuis mars et risquent de ne pas revoir le jour de si tôt. Pour certains, cette période est propice à la création. D’autres s’emparent de la migration de l’art sur la toile pour informer et dévoiler les dessous cachés des métiers de la culture, comme c’est le cas de la Comédie Française, qui, jour après jour, laisse la parole à ses sociétaires. Étonnamment, cette période de sobriété sociale est riche en partage, et c’est ainsi que de nombreux artistes, amateurs ou professionnels, échangent à propos de leurs pratiques et de leurs projets sur la toile, profitant d’une recrudescence de ce qui était jusqu’alors devenu denrée rare pour beaucoup : le temps. Pensons par exemple au groupe Facebook "104 Page ouverte", qui, fidèle aux valeurs du CENTQUATRE-PARIS, établissement culturel de la Ville de Paris, vise à fédérer les habitués et néophytes derrière leur écran, autour d’une seule règle, celle du partage de contenu créatif. Podcasts, sculptures, photos « à la manière de », avant-premières de spectacles ou de projections qui devaient avoir lieu durant ces dernières semaines, les propositions artistiques s’y font nombreuses. Un peu comme si s’adonner à des pratiques artistiques édulcorait cette période perturbée.


D’autres artistes, face aux réalités économiques et sociales de la situation, se sont emparés de leur meilleure arme afin de venir en soutien aux structures nécessiteuses ou aux personnes dans le besoin. On constate ce phénomène particulièrement dans le domaine de la musique, ce qui s’explique d’une part par la facilité de production des œuvres musicales à l’heure du digital, et par la possibilité de continuer à générer des revenus grâce à l’écoute sur les différentes plateformes de streaming, quand nombre d’autres industries créatives sont à l’arrêt. Le slammeur Grand Corps Malade a notamment mis sa plume au service de la Fondation Hôpitaux Paris - Hôpitaux de France avec son titre Effets secondaires, sorti le 9 avril, en reversant l’intégralité des revenus générés par le stream du morceau à deux hôpitaux de la région parisienne. Dans un autre registre, c’est la scène rave électro qui s’est organisée au sein du mouvement solidaire TEK+CARE. Electric Rescue, Ket Robinson, Dorian Parano, Manu Le Malin… Les grands noms de la musique électro underground proposent, depuis le 4 avril, une compilation d’une soixantaine de morceaux disponibles au téléchargement sur le principe de donation libre, l’intégralité des contributions étant reversée à Médecins sans frontières pour la lutte contre la propagation de la pandémie. Au-delà de la filière musicale, les artistes plasticiens ont su mobiliser leur art dans le cadre de ventes aux enchères ou d’actions caritatives. Par exemple, l’illustratrice Johanna Thomé de Souza a conçu le projet #QuarantineFashion. À l’aide de photographies, elle a réalisé le "portrait de confinement" de près de 600 personnes, à travers 18 pays, contre un don à l’association de leur choix. 



Plus que jamais, se réinventer


L’artiste, c’est cette personne qui crée et suscite de l’émotion. Mais ne serait-ce pas aussi celle qui innove et fédère face aux révolutions ? Alors que certains ont toujours les moyens de produire et diffuser du contenu artistique, d’autres se voient privés de toute activité professionnelle. Les artistes dramatiques, par exemple, ont vu leur champ des possibles se réduire drastiquement depuis la mi-mars, à l’image de beaucoup d’entre nous, humains confinés. Période dont certains ont profité pour exercer leur art et, a fortiori, le réinventer ! C’est le cas de l’auteur et comédien Mickaël Délis qui, quotidiennement, a tenu son Journal d’un confinement, miroir d’une réalité intime et sociale. D’abord le support de portraits narratifs d’individus touchés par la crise, le journal de Délis va vraisemblablement donner lieu à un seul en scène. Pour leur part, Camille Etienne et Solal Moisan, confinés aux côtés d'une chorégraphe et d'un compositeur, se sont emparés des problématiques soulevées par la crise sanitaire comme d'un levier pour l'éveil des consciences. Véritable appel à la révolution face à la crise écologique globale, leur union artistique résulte en "Pensée Sauvage", un collectif d'artistes engagés dont la première œuvre vidéo, Réveillons-nous, frôle les trois millions de vues en moins d'une semaine.

Pour nous tous comme pour les artistes, c’est l’occasion de se recentrer sur soi, et de s’adonner à des arts pour le moins nouveaux, tout aussi importants en cette période. L’auteur et comédien Bertrand Bossard a choisi de faire face aux reports et annulations répétés de ses projets par la conversion de son quartier à la permaculture ! C’est ainsi que Bertrand et ses amis ont initié un réseau de voisinage et se mettent à l’échange de radis, au troc de lombrics, à l’installation de stations de lombricompostage… L’heure est donc aux initiatives engagées, sur le plan écologique pour certains, et sur le plan social pour d’autres. Les exemples sont fréquents, relayés sur les réseaux sociaux ou le petit écran, d’artistes dramatiques, chorégraphiques ou musiciens qui se rendent au pied des structures médicalisées ou des barres de logements sociaux pour une parenthèse poétique déclamée, dansée ou chantée. Récemment, c’est Hugo Samor, un jeune danseur du ballet du Nord qui a remporté l’unanimité auprès des résidents d’un EHPAD, à qui il vient offrir chaque semaine, depuis la cour de l’établissement, quelques minutes de son art. Enfin, d’autres encore, en véritables couteaux suisses de talent, prennent le parti de s’engager sur le plan sanitaire. C’est le cas de Sidonie Groignet, comédienne, qui met sa formation de couturière à profit, en créant le mouvement « Mask attack ». En réponse à la propagation de la pandémie, Sidonie a créé un mouvement solidaire, particulièrement actif sur les réseaux sociaux, dont l’objectif est de mettre en relation des couturières bénévoles et volontaires et des personnes pouvant faire don de textile afin de confectionner masques et sur-blouses en tissus pour le personnel soignant, entre autres. 


De ces différents constats, on peut tirer la conclusion que l’art – et avec lui les artistes – font partie intégrante du processus de transition. Historiquement, chaque mouvement social majeur, chaque épidémie, chaque bouleversement s’est vu accompagné par l’art, qu’il soit matériel ou immatériel, pictural ou oral, écrit ou incarné. L’artiste, avant même les premiers tragédiens grecs, s’est employé à traduire et transformer les émotions afin de les mettre à distance. De cette façon, il extrait le potentiel dramatique du quotidien pour en écrire l’histoire. Les peintures de guerre, le blues, le street-art, la littérature engagée sont autant de manifestations artistiques des grandes phases de l’histoire. Désormais, on peut envisager le genre du spectacle de confinement comme le marqueur du monde de l’après. -M-, Diplo, Christine and the Queens, pour n’en citer que quelques-uns, ont activement participé à l’émergence de ce genre nouveau. Véritables showcases, leurs performances sont retransmises en direct sur les réseaux sociaux pour le plus grand plaisir de plusieurs milliers de spectateurs, d’ores et déjà nostalgiques des fosses transpirantes des salles de concert et de la boue des festivals estivaux. Forte de ces expériences réussies, la filière du spectacle vivant s’organise autour de ces nouvelles perspectives. Si les récentes annonces ont prévu une réouverture des salles de spectacle pour le 22 juin, théâtres et salles de spectacle s’orientent plutôt pour une reprise de programmation en automne. Néanmoins, plusieurs structures ont d’ores et déjà annoncé le retour de leur programmation (presque) comme avant. C’est ainsi qu’en addition aux contenus d’archives publiés en ligne, la Philharmonie de Paris propose des concerts en direct, sans public : le 28 mai, se réuniront le violoniste Renaud Capuçon et ses amis, autour d’une œuvre de Richard Strauss depuis la majestueuse salle Pierre Boulez. Depuis l’annonce de déconfinement, l’emblématique Théâtre du Point Virgule se remet progressivement en jambe en proposant des “sketchs-trottoirs” à son public fidèle sur les réseaux sociaux. Serait-ce donc cela, l’art de l’après ?


 

Pour en apprendre plus sur l'art de confinement :


- La théorie du spectacle de confinement par Mathilde Serrell : https://www.franceculture.fr/musique/le-concert-de-confinement-un-genre-en-soi


- Pour les oreilles curieuses ou gourmandes de musique électronique, la compilation TEK+CARE au profit de Médecins sans frontières : https://tek-kare.bandcamp.com/album/tek-kare-complete-pack


- Dans une parenthèse poétique qui appelle à la prise de conscience, Pensée Sauvage nous dit "Réveillons-nous" : https://www.youtube.com/watch?v=1Mw5ADaHyFo


- La #QuarantineFashion de Johanna Thomé de Souza, un projet artistique engagé et confiné, qui ne connait aucune frontière :


- Le mouvement Mask Attack, ses membres et sa vision : https://www.facebook.com/groups/maskattack/

- Le Journal d’un confinement de Mickaël Délis : https://www.facebook.com/mickael.delis/posts/3279837422039847




© crédit photo : Johanna Thomé de Souza


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