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Joffrey Lavigne

Rêveries agricoles d’hier et d’aujourd’hui (1/2)

Pointée du doigt en raison de ses pratiques néfastes pour le monde vivant et le climat, l’agriculture revient progressivement au premier rang des préoccupations sociales. Entre agribashing et valorisation de nouveaux modèles agricoles (permaculture, agroforesterie, agriculture de conservation, etc.), le monde agricole se retrouve coincé dans un jeu complexe des représentations collectives alors même que l’étau économique se resserre sans cesse.


Pour mieux comprendre ces représentations, la Turbine se prête au jeu d’une brève archéologie du futur - qui ne prétend ni à l’exhaustivité ni à la rigueur scientifique.


Nous entamons ici une série d’articles sur les imaginaires de l’agriculture qui circulent du milieu du XIXe siècle à aujourd’hui. Cette traversée dans les méandres des représentations de l’agriculture du futur s’attache tout particulièrement, dans ce premier article, à la publicité et aux discours de l’innovation dans ce premier article.


Farm of the Future, David Meltzer, 1970

De l’homo-prédateur à l’homo-producteur


Apparue indépendamment dans différentes parties du monde au néolithique, près de 10 000 ans avant J-C., l’agriculture a constitué une révolution majeure dans l’histoire de l’humanité. Peut-être la révolution la plus importante au regard des profondes ruptures qu’elle a entraîné dans l’existence et le développement des sociétés humaines (croissance démographique, émergence des villes, modifications morphologiques, développement de l’écriture et de l’économie, division du travail, inégalités de développement, etc.).


Avant l’agriculture, ces sociétés étaient structurées en clans nomades (notons que certains travaux nuancent cette idée). Leur subsistance dépendait principalement de la pêche, de la chasse et de la cueillette. De fait, les déplacements de ces sociétés se faisaient au gré des saisons ou selon l’abondance du gibier, des fruits et légumes mais aussi des points d’eau accessibles. L’environnement constituait ainsi un espace d’opportunités où l’humain prélevait du vivant de manière directe (dans la chaîne trophique ou alimentaire) et temporaire. En somme, l’environnement apparaissait comme un espace de prédation.


Avec l’émergence de la culture des sols, c’est un tout autre rapport à l’espace et au temps - qui s’impose : un rapport sédentaire. Une permanence s’instaure et l’humain apprend à observer méthodiquement les régularités et les irrégularités de son milieu : les variations climatiques selon les saisons, la fertilité des sols, les différences de croissance et de rendement de certaines essences végétales, etc. Ainsi, les sociétés humaines consacrent progressivement une grande partie de leur temps à la compréhension des processus biologiques, à la connaissance et l’aménagement de leur milieu et au développement de techniques au service de la croissance des plantes progressivement domestiquées.


Domestiquer le vivant


De prédateur, l’humain devient producteur. Cette humanité productive s’installe dans un paradigme complexe et inédit de la domestication qui semble reposer sur cinq composantes majeures :

  • le système technique : l’araire, la charrue, la moissonneuse-batteuse, les OGM peuplent nos représentations et qui constituent des marqueurs temporels - voire civilisationnels. L’agriculture est ainsi structurée par un système technique qui relie les humains entre eux, et les humains à leur environnement.

  • le régime temporel : l’agriculture introduit une relation au temps très complexe qui oscille entre ancrage historique et culturel fort lié à la relation à la terre (passé identitaire), dépendance aux aléas environnementaux (présent immédiat), attachement aux redondances des cycles saisonniers et du cycle des récoltes (présent récurrent) et une considération du temps long en lien avec la mission nourricière qui incombe à l’agriculture (prospérité future). Ce régime temporel est traversé par certains antagonismes tels que “abondance-pénurie” et “conservatisme-progrès”.

  • les relations inter-espèces : l’agriculture et l’élevage sont une affaire de coopérations inter-spécifiques. La diversité des pratiques et modèles agricoles à travers le monde est synonyme d’une diversité de relations inter-spécifiques. Le spectre des relations au vivant induites par les modèles agricoles est très large. Ce spectre peut être structuré selon deux approches : celle de la diversité biologique dans les cultures (de l’homogénéité des espèces et essence à une large biodiversité), et celle des formes de relation (de la coopération en personnifiant le vivant à l’exploitation en objectivant le vivant).

  • la pédologie : c’est le rapport au sol et à la terre. La sédentarisation attache les humains au sol et instaure une dépendance à la qualité des terres arables. Cet attachement est fondateur sur le terrain symbolique - notamment sur la question de la fertilité et de l’enracinement - et sur le terrain social avec l’émergence du régime de propriété.

  • le régime énergétique : l’agriculture est un système d’organisation et de gestion de la calorie. Les humains doivent utiliser des calories pour produire et s’alimenter. Au fil de son histoire, l’agriculture s’est progressivement affranchie de la dépendance à la seule force musculaire humaine ou animale en utilisant notamment la force motrice des machines. L’enjeu de la transition énergétique dans l’agriculture, en écho au retour de l'usage de la traction animale dans certaines pratiques, repose la question du rapport énergétique/calorifique.


Fresque égyptienne représentant le travail agricole / © E. Lessing/AKG

Cet ensemble de composantes constitue le socle commun sur lequel se développent une très grande diversité de pratiques et de modèles agricoles à travers le monde. Ces modèles ont une histoire - que nous serons bien évidemment incapables de restituer ici - et cette histoire est aussi faite de mythes, de récits, d’images et aussi de rapport intimes, émotionnels à l'alimentation. qui imprègnent les sociétés humaines et circulent à travers les époques et les territoires.


Intimement liés aux imaginaires de l'alimentation, les imaginaires agricoles racontent un système technique, politique, économique, mais aussi un rapport plus sensible au vivant. Ils font civilisations, culture. Ils racontent un système technique, politique et économique, un rapport au temps, des relations aux vivants et à la terre.


De ce constat naissent nos questionnements. Comment l’agriculture est-elle racontée dans les récits qui pensent et imaginent les futurs ? Quelles projections proposent ces récits sur l’agriculture de demain - et par extension, sur nos relations aux milieux et aux êtres vivants ?


Pour tenter de répondre à ces questions, nous avons décidé d’explorer différents territoires de la projection. La première étape de cette exploration nous mène sur le terrain du discours publicitaire du XXe et XXIe siècles fortement marqué par un imaginaire techno-centré.


Quand la publicité raconte l'agriculture du futur


Lorsque Émile de Girardin décide de publier les premières annonces dans son journal La Presse en 1836 (en France), il ne se doute probablement pas que la publicité s’immiscerait dans une très large partie de notre quotidien. Se sophistiquant au fil des décennies et épousant la trajectoire des technologies de l’information, la publicité est progressivement devenue la principale alliée de l’idée de progrès. La “pub” est souvent une rhétorique du futur, dans le mesure où elle produit et véhicule des discours sur l’avenir radieux de la société de consommation. À ce petit jeu, c’est la technique qui prend toute la place. Plus de maîtrise, plus de confort, plus de plaisir, plus de rentabilité, etc. Le fantasme du solutionnisme technique s’immisce partout et l’agriculture n’y échappe pas.


Voici, une sélection de quelques exemples de publicités qui racontent, à trois époques distinctes, le futur du monde agricole.


Le mythe de la ferme “presse-bouton”


À la fin du XIXème siècle, l’illustrateur Jean-Marc Côté produit plusieurs dizaines de clichés sur l’an 2000. Il se projette près de cent ans plus tard et imagine une société jouissant d’un progrès scientifique sans limite. Ces illustrations, commanditées par un fabricant de jouets selon certaines sources ou par une société de tabac selon d’autres, inventent des objets, des pratiques, des services du futur. À travers ces créations, on peut aisément deviner les robots ménagers d’aujourd’hui, les mobil-homes qui sillonnent nos campagnes, la livraison par drone qui est expérimentée par certaines entreprises, les médias informatisés qui peuplent nos quotidiens … Parmi ces images, deux de ces illustrations évoquent le modèle agricole du futur : Un agriculteur très occupé (A very busy farmer) et Élevage intensif.



A very busy farmer, Jean-Marc Côté, 1899

La première donne à voir un agriculteur installé au bord de son champ téléguidant à distance sa moissonneuse par le truchement d’une machine électrifiée. Quant à la seconde illustration, une autre machine est mise en scène transformant les œufs directement en poussins éparpillés dans la ferme.



Élevage intensif, Jean-Marc Côté, 1910


Ces deux clichés font la part belle à la mécanisation et l’automatisation qui imprègnent les pratiques agricoles du siècle suivant. La machine facilite le travail des agriculteurs, optimise les rendements et surtout distend les relations au vivant. La technique s'immisce en intermédiaire nécessaire entre l’humain et le monde végétal ou animal. Cette médiation technique du “presse-bouton” se retrouve aisément tout au long du XXème siècle où le monde agricole ne doit pas être mis à l’écart du confort apporté par la technologie.



La victoire de la chimie


À la sortie de la première puis de la seconde guerre mondiale, l’agriculture emprunte un nouveau tournant : celui de la chimie. La “guerre de l’azote” et la militarisation de l’agriculture débouchent sur un usage massif de pesticides et d’engrais chimiques pour optimiser la production agricole. Dérivés des gaz de combat produits lors des guerres mondiales, les herbicides, ces “poisons économiques” sont reconsidérés en “produits phytosanitaires”. Un nouveau mot, un nouveau narratif pour les introduire dans la société civile et se faire accepter. Ce qui a été pensé pour tuer des humains se mue en un précieux sérum agricole au service d’une productivité exponentielle dictée par l’industrie agro-alimentaire. Cette mise en chimie de l’agriculture se traduit aussitôt dans les publicités de l’époque.



Wanted : More Green Thumbs. Union Carbide,1956


Dès l’entre-deux-guerres, Union Carbide, l’une des premières sociétés de pétrochimie, commence à produire des publicités en faveur de l’usage de pesticides. Dans son sillon, l’entreprise Shell développe à la sortie de la Seconde Guerre mondiale toute une stratégie pour investir le milieu agricole. Un laboratoire est dédié à ces questions : le Shell Agricultural Laboratory. Mais surtout, l’entreprise développe une série de récits publicitaires sur les bienfaits de l’industrie pétrolière dans l’agriculture.



Steel fingers – with a tender touch. Shell, 1952 Cette publicité - fortement scénarisée - propose une vision d’une agriculture robotisée qui facilite la tâche des agriculteurs et leur fait gagner davantage d’argent. Le pétrole sert cette promesse.

Dès les années 1940, les premières publicités (Kitchen Garden, 1946, Leaf Hopper At Speonk, 1947) vantent les mérites des lubrifiants à moteur en soutien à la mécanisation croissante. Puis, ces récits publicitaires racontent comment cette industrie s’immisce dans les modes de culture en proposant des substances qui favorisent la croissance des plantations.

Food From Thought, Shell, 1956

Au cœur de ces récits, la figure de l’agriculteur disparaît, remplacée par celle du scientifique, un homme en blouse blanche, qui manipule des substances chimiques au sein de son laboratoire implanté au milieu des cultures. Face à lui, un immense épis de maïs incarne cette promesse d’une production agricole intensifiée. La démesure et la verticalité de cet épis de maïs signifient la puissance de l’homme sur le vivant, mais aussi ce progrès technique illimité qui nous fait lever les yeux vers le ciel. Une attractivité céleste que l’on peut retrouver dans le fantasme des voitures volantes, de la conquête de l’espace, de l’architecture verticale qui façonne les imaginaires urbains du XXe et XXIe siècles.


La décennie 1950 marque ainsi la victoire de l’homme super-producteur, et plus particulièrement de la chimie dans l’agriculture. Une victoire que racontent Jacob Rosin et Max Eastman dans l’ouvrage paru en 1953, The Road to Abundance. Ces derniers proposent un plaidoyer pour une alimentation entièrement synthétique et une agriculture plus efficace que la nature :


“Il est donc grand temps d'enlever le manteau de sainteté des aliments naturels, et de les voir tels qu'ils sont : un mélange mal assorti de produits chimiques contenant une grande quantité de matières indigestes, et une certaine proportion de matières nuisibles à notre santé. Ce mélange a malheureusement été indispensable à notre alimentation, puisque nous n'avons pu jusqu'à présent obtenir les produits chimiques nécessaires à notre organisme sous une forme entièrement digestible et dépourvue de poison.”

Ce glissement vers l’alimentation de synthèse traduit un détachement croissant avec la dimension biologique et terrienne de l’agriculture qui se mue en acte productif industriel, au même titre que la métallurgie ou d’autres industries humaines. Une question nous vient alors : qu’en est-il des visions actuelles de l’agriculture du futur véhiculées par la publicité contemporaine ?


L’agriculture 4.0 ou la maîtrise absolue du vivant


Nous l’avons évoqué en préambule, l’agriculture se retrouve au cœur des préoccupations sur le futur. Le gaspillage alimentaire, le réchauffement climatique, la pollution des sols, la dégradation de la fertilité des terres, l'homogénéisation des paysages et des espèces animales et végétales, la raréfaction des ressources naturelles, la croissance démographique, etc. Nous pourrions poursuivre longtemps encore cette liste tant l’agriculture croise d’enjeux liés à la pérennité du monde vivant, et de l’espèce humaine en particulier.


Représentation d’un drône autonome : Après le lancement du Parrot Disco-Pro AG en septembre, Parrot complète sa gamme de drones professionnels à destination de l’agriculture avec la commercialisation du quadricoptère Parrot Bluegrass. Ce drone est distribué par la société d’assurance Axe-Environnement.

À l’enjeu sans cesse répété tout au long du XXe siècle de nourrir l’ensemble de la planète, s’en est ajouté un second : préserver l’environnement - et donc garantir la capacité productive de l’espèce humaine. Face à cette inquiétude, le monde scientifique tente d’apporter des solutions globales : mutation des régimes alimentaires humains vers moins de consommation carnée (How to protect both health and food system sustainability?, publiée dans Public Health Nutrition en juin 2020), transformation des modèles agricoles vers une agriculture bio et locale pour nourrir toute l’Europe en 2050 (étude publiée le 8 juin dans la revue One Earth et relayée par le site Reporterre), intensification des rendements agricoles (recommandations de la FAO évoqués dans un article du Monde), investissement massif dans l’agroécologie (rapport Creating a Sustainable Food Future réalisé pour partie par le Cirad), etc.


Bien que s’appuyant sur des données factuelles, ces rapports sont des hypothèses sur l’avenir de l’agriculture. Ce sont des discours qui se veulent performatifs dans la mesure où ils prétendent tracer un chemin vers tel ou tel modèle de société. Parmi ces narratifs, penchons-nous sur celui de l’agriculture 4.0.



“Nous devons abandonner l’idée que la transformation de nos cultures en réservoirs de données grâce à l’utilisation de drones, de satellites, d’agribots* et de capteurs fait partie d’un avenir dystopique et de science-fiction, car ce sont précisément les scénarios qui doivent nous devenir plus familiers si nous voulons réussir à produire 50 % de nourriture en plus de ce que la FAO estime nécessaire pour nourrir tout le monde d’ici la fin du siècle, tout en respectant l’environnement, les ressources et les personnes. La technologie, la recherche scientifique et l’innovation doivent être les mots-clés guidant les politiques de l’avenir et les secteurs attirant de vastes investissements.”

* Les agribots sont des robots agricoles pouvant effectuer de nombreuses tâches différentes. Ils reposent en grande partie sur les performances de l’intelligence artificielle.



En quelques lignes est résumé l’imaginaire contemporain dominant de l’agriculture du futur. Ce texte est extrait d’un article datant de novembre 2021 publié sur le site d’information Le Grand Continent. L’article traduit la vocation prescriptive du récit de 'lagriculture 4.0 : un seul chemin est possible pour nourrir la planète : celui de la fusion entre l’agronomie, les biotechnologies et les systèmes informatiques. Une agriculture de haute précision, bardée de capteurs pour mesurer, contrôler et planifier la production agricole à l’aide d’applications pour smartphone, drones, satellites, robots, etc.



L'internet des moutons : capteurs qui permettent de contrôler la position et la vitesse des moutons. Les capteurs peuvent être utilisés pour orienter les comportements du troupeau. Image: G. Blair/University of Bangor

Le vivant et les processus biologiques se retrouvent encapsulés dans un jeu de données toujours plus complexe.


Examiner, contrôler, surveiller, adapter ne sont pas des pratiques inédites dans l’agriculture. La domestication a produit un modèle d’attention au vivant qui implique cette surveillance permanente. Le changement de perspective que l’agriculture 4.0 implique, c’est une médiation technique de cette attention. L’humain se retrouve écarté de cette relation interspécifique au profit d’une machinerie plus légitime car plus précise et plus sûre que l’intelligence humaine.

Le projet Octocopter Image: BBSRC. L'octocoptère est testé à Rothamsted Research, un institut qui reçoit des fonds des bailleurs de fonds britanniques en biosciences. Cette technologie montre qu'il est possible de mesurer la croissance des plantes et de suivre le stress des cultures, en réaction à la sécheresse hydrique par exemple, depuis les airs et de manière autonome.

Cette substitution constitue un chapitre supplémentaire du grand récit du solutionnisme technologique de ces deux derniers siècles.


"La plus grande technologie qui changera la donne sera les véhicules autonomes intelligents qui peuvent faire ce que veut le gestionnaire de la ferme, mais qui intègrent également suffisamment d'intelligence pour économiser l'énergie sous toutes ses différentes formes."

Cet imaginaire est si puissant qu’il investit la pensée des modèles agricoles alternatifs (agroécologie, permaculture, agriculture de conservation, etc.) au modèle conventionnel, notamment l’agro-écologie, mais aussi le discours des politiques publiques. En avril 2021, la Commission européenne souligne dans un rapport qu’un nouveau cadre réglementaire est nécessaire pour permettre le déploiement de techniques d’amélioration génétique, et notamment d’édition du génome, soit le paroxysme de cette volonté de puissance et de contrôle sur le vivant. Au niveau national, le gouvernement français développe toute une série de rapports, de publicités, de programmes sur les entrepreneurs du vivant et sur la French AgriTech au service d’une innovation technologique de l’agriculture française.


Symptôme de cet imaginaire, Xavier Niel a cofondé Hectar, la « Station F de l’agriculture », qui ouvrira ses portes aux start-ups en janvier 2022 dans la Haute Vallée de Chevreuse. Cet espace constitue le plus grand écosystème agricole au monde (campus de formation, accélérateur de startups et d'innovations, ferme pilote en agriculture régénératrice, espaces de coworking, etc.) pour rendre attractive l’agriculture aussi bien auprès des jeunes que des entrepreneurs. L’imaginaire agricole, contaminé par l’univers très riche de la technologie numérique, s’incarne ici à travers des lieux et des figures nouvelles qui n’ont a priori aucun lien avec l’agriculture.


Quels gardes-fous possibles ?

Futuristic "desert farm", image d'une des installations du parcours scénique Horizons d'Epcot à Walt Disney World Resort.

Progressivement investis et dominés par les industries pétrochimiques, agro-alimentaires puis les grandes entreprises du numérique, les imaginaires de l’agriculture font l’objet d’une bataille sans relâche pour faire exister d’autres visions, d’autres récits, d’autres sensibilités.


L’agriculture biologique, l’agriculture paysanne, l’agro-écologie, l’agriculture régénératrice, l’agriculture raisonnée, l’agriculture de conservation, la permaculture et d’autres sont autant de modèles alternatifs qui portent de nouvelles représentations des pratiques agricoles. Véhiculées par un large ensemble de dispositifs (publicités, ateliers de jardinage, conférences, festivals, etc.), ces représentations prennent une place grandissante dans la société. Mais certains arguments sont, en retour, préemptés par les industries agro-alimentaires - notamment celui du “retour à la terre”.


La bataille engagée s’annonce complexe pour celles et ceux qui portent des visions alternatives à l’agriculture intensive et hyper-technologisée. Sans compter que les dispositifs réglementaires actuels et les modèles de subvention sont encore largement repris par l’agriculture conventionnelle.


Il n’est guère question de rejeter toute forme de technologie dans l’agriculture. Ce serait d’une part une douce illusion, et d’autre part complètement dogmatique.

L’enjeu semble davantage de penser les implications directes et indirectes d’une trajectoire techno-centrée de l’agriculture. Ni la croissance démographique, ni la diminution du nombre de terres agricoles disponibles, ni les risques que font peser le réchauffement climatique sur les récoltes ne doivent être des arguments d’autorité ou des facteurs de légitimation d’une telle trajectoire pour l’agriculture. Oui, il faut nourrir les humains aujourd’hui et demain mais pas à n’importe quel prix.

Les risques que font peser la trajectoire techno-centrée sont nombreux :

  • une dépendance accrue des hommes-producteurs à un système technique toujours plus verrouillé et complexe. La dépendance au numérique (et à ses acteurs économiques) s’ajoute à la dépendance à la chimie et à la mécanisation de l’agriculture ;

  • une négation de la capacité des écosystèmes naturels à nourrir l’humanité ;

  • un solutionnisme technique qui néglige - voire nie - les causes réelles des maux de l’agriculture actuelle (sur-consommation de protéines d’origine animale, gaspillage alimentaire, dégradation des écosystèmes nourriciers, pollution des terres, dilapidation des ressources en eau, etc.)

  • une logique d’optimisation et de rentabilité maximale des ressources disponibles qui nourrit un imaginaire pernicieux de toute puissance face aux processus biologiques.


Dès lors, posons-nous la question des garde-fous possibles et des contre-points à cette saturation technologique. Espace critique privilégié de la technicisation de la société, la science-fiction et le design spéculatif sont des territoires à explorer pour déceler les récits agricoles qui s’y déploient. Ce sera l’objet du prochain article de cette série.



 

Pour aller plus loin :

- Se perdre dans le site Paleofuture qui a beaucoup nourri cet article.

- Découvrir toutes les illustrations de la série En l'an 2000 sur le catalogue de Bibliothèque Nationale de France

- Parcourir ce musée virtuel de l'univers publicitaire de l'entreprise Shell qui a longtemps était aux avant-gardes de la prospective.

- Profiter des travaux d'Arthur Radebaugh qui était futuriste, illustrateur, artiste à l'aérographe et designer industriel américain. Il a produit de nombreuses publicités pour l'automobile et est l'auteur d'un recueil de comics qui permettent de saisir les représentations du futur entre 1958 et 1962 : Clother than we think.

- Lire le publireportage de la BBSRC publié sur la plateforme medium à propos des fermes du futur.



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